Biographie de Cheb Mami
CHEB MAMI
François Bensignor, avr.95
Avec Saïda , nouvel album richement contrasté, celui qui fut le Petit Prince du raï affirme une maturité musicale digne de succès mondiaux, sans rien perdre de la fraîcheur de sa voix, ni de sa gentillesse. Alors que l'Algérie traverse une période sombre, Cheb Mami offre à son jeune public des concerts plein de douceur, de joie de vivre et de danser. Certes pas insensible à la situation dans son pays, il s'affirme chanteur avant tout.
En octobre 1986, c'est un jeune homme timide, un peu perdu, qui affronte pour la première fois la scène de l'Olympia. J'avais vingt ans, dit-il, et je ne maîtrisais pas bien le français. L'Olympia, c'était un grand moment pour moi À l'époque, j'avais surtout un public d'immigrés. Les gens s'embrassaient, dansaient ensemble. Ils avaient besoin de quelque chose qui les rapproche. Comme eux, j'avais le mal du pays. J'avais passé un an en France sans voir mes parents et j'avais besoin de ces concerts pour retrouver le mode de relations que je connaissais là-bas. Aujourd'hui, ce sont leurs enfants qui viennent me voir. Ils sont de plus en plus jeunes, 15-16 ans. Le raï a fait du chemin.
En 1987, alors que sa carrière internationale fait un beau démarrage à partir de Paris, Cheb Mami est appelé sous les drapeaux. Dilemme terrible : J'avais deux possibilités, ou je restais en France, et je ne pouvais plus aller voir ma famille, ou je partais faire mon service, sachant que ce serait un frein pour ma carrière. J'ai décidé d'y aller. C'était un devoir Je n'aurais pas été connu dans la chanson, j'aurais été déclaré inapte, avec le dossier médical que j'avais. Mais pour eux, l'important c'était que Mami fasse l'armée, malade ou pas Les premiers jours à la caserne, j'avais le morale à zéro. Mais au bout d'une quinzaine de jours, même le général était au courant que j'étais là. Il m'a invité dans son bureau et m'a bien accueilli Par la suite, les militaires m'ont facilité les choses. J'ai pu faire des concerts, une tournée dans une vingtaine de casernes, enregistrer deux cassettes. À la fin de cette période j'ai fait les deux plus beaux concerts de ma carrière à Alger, devant 40 000 personnes. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait J'avais joué devant 1000 personnes, mais 40 000 seulement pour moi J'avais un trac fou ! C'était pendant le mois de Ramadan, après les événements de l'automne 1988.
En 1989, Cheb Mami décide de s'installer définitivement en France et sa musique va prendre une direction résolument moderne. Il enregistre Let me raï (1990) puis Saïda (1994) à Los Angeles avec le producteur Hilton Rosenthal, ami et mentor du Sud-africain Johnny Clegg. Je voulais faire une musique actuelle qui passe aussi dans les discothèques. La musique traditionnelle impose des limites, mais le raï a toujours été une musique qui évolue. Aujourd'hui, c'est celle de la deuxième génération et nous devons suivre la demande des jeunes. Dans mon nouvel album, sur Mama , j'ai fait un clin d' il au rap. Je voulais que les beurs puissent montrer à leurs copains français qu'on peut mettre ensemble le rap et le raï. Sorti en pleine guerre du Golfe, Let me raï a été quasiment interdit d'antenne, mais aujourd'hui, les média réservent un meilleur accueil à Saïda , en partie à cause de la situation algérienne. Après la sortie de Let me raï, pendant mon concert à l'Auditorium des Halles, nous avions une alerte à la bombe tous les quarts d'heure On est quand même allé jusqu'au bout. Le public, entièrement mélangé (Maghrébins, Français, Africains ) était là comme pour dire qu'il fallait rester ensemble. Aujourd'hui, avec les problèmes que rencontre l'Algérie, les médias français invitent des artistes, des écrivains, des intellectuels algériens. On nous demande de réagir. Mais nous, les chanteurs, les artistes, on ne peut rien changer. On n'est pas des politiciens. Je suis un jeune Algérien qui a réussi dans ce métier, c'est tout. Je n'ai pas fait d'études pour devenir un intellectuel, pouvoir parler de l'Algérie. Je réagis comme un simple Algérien. C'est vrai, c'est terrible ce qui se passe. On est malheureux Mais les Algériens qui vivent là-bas sont encore bien plus malheureux que nous.
François Bensignor
Discographie en CD :
Saïda (Totem/Blue Silver) - 1994
Let me raï (Totem/Blue Silver) - 1990
Fatma - Fatma (Celluloïd/Mélodie) - 1988
Le Prince du raï (Michel Levy prod./Sono Disc) - 1988