FEMI ANIKULAPO KUTI
HÉRITIER DE L'AFRO-BEAT

Formé par son père Fela, disparu en 1997, Fémi assure magistralement la relève avec un nouvel album alliant la rigueur de l'afro-beat à la vigueur compacte d'orchestrations très actuelles.

Comment perpétuer l'œuvre d'un héros de la musique populaire ? Cette question s'est posée à de nombreux fils de stars disparues, qu'il s'agisse de Julian et Sean, fils de John Lennon, de Dweezil, fils de Frank Zappa, ou de Ziggy, fils de Bob Marley. Tous l'ont résolue à leur manière, se jetant dans la mêlée du showbiz avec un certain courage, mais aussi avec des avantages certains. Femi Anikulapo Kuti assume sa filiation dans un contexte africain, mais il est confronté aux mêmes réflexions : « À cause de la personnalité de mon père, j'ai eu beaucoup de mal à m'extraire de son ombre. Ce n'est pas si facile de succéder à un type de sa trempe. Mais avec mon nouvel album, je vais mettre tout le monde, et spécialement au Nigeria, dans ce j'appelle “la condition permanente de se taire” (the permanent condition of shut up) ».

Né à Londres en 1962, Femi a grandi à Lagos dans un univers chargé de musique, élevé par sa mère, Remi, séparée de Fela. À l'âge de quinze ans, il s'installe auprès de son père, au plus fort de l'une de ses périodes les plus créatives musicalement et les plus agitées politiquement. L'artiste visionnaire qui vient de révolutionner le son africain brandit son célèbre slogan : “la musique est l'arme du futur”. Il a fait du petit domaine de sa maison baptisée Kalakuta une “république” et, en homme libre, dénonce systématiquement les abus de la junte militaire qui dirige le Nigeria. Femi est le témoin des graves conséquences entraînées par l'attitude intransigeante de son père : harcèlement policier, attaques des militaires contre les biens du chanteur…

Bien qu'il affirme vouloir politiser sa position dans ses futures chansons, maintenant que son père a disparu, Femi n'a jamais fait preuve de cet acharnement vindicatif qui caractérisait les paroles de Fela comme son attitude dans ses démêlés avec les autotrités qui lui étaient hostiles. Quand en 1986 Femi fonde son propre groupe, The Positive Force, il donne à l'afro-beat un souffle neuf, un visage joyeux, en adéquation avec l'énergie et l'insouciance de son âge. Musicien accompli, il peut laisser libre court à son inspiration, en s'appuyant sur la solide expérience qu'il a acquise au sein des orchestres successifs de son père, Africa 70 et Egypt 80.

En 1981, à 19 ans, il tient le saxo soprano lors de la folle équipée du roi Fela, entouré de ses épouses chanteuses-danseuses, hypnotisant un public parisien médusé par cet ovni musical. Quatre ans plus tard, Femi doit remplacer son père au pied levé, lors d'un mémorable concert à l'Hollywood Bowl de Los Angeles. Fela a été arrêté au moment d'embarquer dans l'avion qui le conduisait au départ d'une tournée américaine. Accusé de vouloir exporter frauduleusement des devises, qui doivent tout simplement servir à payer sa troupe, il est jeté en prison. Femi sauve la réputation du groupe mais il doit affronter la jalousie des plus vieux de ses membres, ce qui le décide à entreprendre une carrière sous son nom.

La carrière de Femi reste une affaire de famille, comme celle des enfants de Marley, puisque deux de ses sœurs, Yeni et Sola, l'accompagnent. Ensemble, ils veulent abolir les frontières esthétiques entre les continents. « J'ai toujours cherché à faire une musique qui convienne au public européen, explique Femi. Fela faisait des morceaux d'une demi-heure, moi je vais vers la concision : huit minutes maximum, sans perdre l'énergie… » Son nouvel album en témoigne. « C'est un disque plutôt fun, qui présente un aspect assez méconnu de moi-même, poursuit-il. Enregistré en juin 1997, il ne reflète rien de la terrible période traversée avec la mort de mon père le 2 août 97, celle de mon cousin le 26 août, puis de ma petite sœur Sola, le 9 octobre… »

Après ces événements douloureux, Femi a repris le flambeau. Sa femme, Funke, remplace Sola auprès de Yeni et Positive Force se produit tous les dimanches au Shrine (“le temple”), club légendaire fondé par Fela. Mais jusqu'à quand ? « Le terrain où est bâti le Shrine n'appartenait pas à mon père et on veut nous en déloger, explique Femi. Un procès est en cours et j'ai pris la direction de la riposte, parce que je pense que nous devons préserver cet espace ». Gageons que l'héritage de Femi, son approche optimiste de la vie et le soutien d'un large public, qui le reconnaît aujourd'hui comme l'incontestable dépositaire du génie de Fela, l'aideront à surmonter ces nouvelles épreuves et à graver de sa marque le nouveau son de l'afrobeat.

François Bensignor

Discographie :
• 1987 : “No Cause for Alarm” (Mélodie)
• 1994 : “Wonder Wonder” (Motown)
• 1998 : (Barclay)