ALI FARKA TOURÉ

François Bensignor juin 1997

 

Guitariste autodidacte, Ali Farka Touré veut apporter au monde la preuve que le blues plonge ses racines dans les traditions de son pays au nord du Mali.

Ali Farka Touré est né en 1939 dans le village de Kanau, près de Gourma Rharous sur la boucle du Niger. Dixième fils de ses parents, il fut le premier à atteindre l'adolescence. C'est de cette force tenace qu'il hérita le surnom de Farka, l'âne . Il le porte bien et chacun sait que lorsqu'il a quelque chose en tête, Ali Farka n'en démord pas. Par exemple, il a toujours voulu faire de la musique malgré l'opposition de sa famille. Son grand père, déjà, était un fameux joueur de diurkel , petit luth monocorde dont il se servait pour diagnostiquer des maladies lors des rites de guérison.

Après la mort de son père, tirailleurs sénégalais qui donna sa vie pour la France, sa famille s'installe à Niafounké, dans la région de Tombouctou. Aujourd'hui, malgré ses succès de musicien, Ali Farka Touré y cultive encore ses 6 hectares de terres, entouré de ses deux femmes, onze enfants et autres petits enfants, dans la communauté agricole de 350 hectares gérée par sa lignée depuis plusieurs générations.

L'enfant de la rivière
Appartenant à l'ethnie Arma de l'ensemble Songhaï, Ali Farka Touré vous parle volontiers de la relation qu'il entretient avec les djinn , ces esprits du grand fleuve Niger, dont il tiendrait le don de la musique. Il raconte qu'à douze ans, une nuit qu'il marchait sous la lune avec des amis, jouant du petit violon monocorde njarka , il aperçut trois jeunes filles, une petite, une moyenne et une grande, comme les marches d'un escalier. "J'avançai le pied droit. Mais le gauche resta immobile." Et il demeura ainsi durant deux heures. Le lendemain, au bout des champs, un serpent noir et blanc s'enroula autour de sa tête. Le garçon le chassa, mais fut pris d'une étrange maladie. "On m'envoya guérir au village de Hombori. Au bout d'un an, comme j'allais mieux, je suis rentré dans ma famille. Là, j'ai recommencé à jouer et ma musique a été très bien accueillie par les esprits." Depuis lors, on sait qu'Ali Farka Touré est un "enfant de la rivière" , ainsi que l'on désigne ceux à qui il a été donné de communiquer avec les esprits.

Cette histoire pourrait être tirée d'un livre d'Amadou Hampaté Bâ. Et en effet, le musicien rencontrera bien plus tard l'écrivain, avec lequel il composera un long poème en hommage à la Côte d'Ivoire. Captivé par les connaissances du guitariste autodidacte qui parle aussi bien le songhaï que les langues peul, tamachek, gozo, hassania, dogon et quelques autres, Hampaté Bâ l'emmènera pour son premier voyage à Paris.

Maître des traditions
Ali Farka Touré, s'est initié aux instruments traditionnels de sa région. Sa maîtrise de la flûte peul, du luth ngoni à quatre cordes et surtout le njarka qu'il utilise toujours sur scène et sur disque, lui ont valu une grande réputation dans tout le Mali. La guitare lui ouvrira les portes du monde. En 1956, alors qu'il est apprenti-chauffeur en Guinée, il est subjugué par le jeu du grand maître Keïta Fodeba. Quelques années plus tard, à force d'entêtement et d'endurance, Farka transpose les airs traditionnels sur une six cordes.

De 1962 à 1971, après l'indépendance du Mali, Ali Farka Touré est directeur de la troupe artistique de Niafounké, qui remporte de grands succès au concours régional de Mopti. En 1968, il se rend pour la première fois en Europe, représentant le Mali au festival international de Sofia, en Bulgarie, aux côtés des grands Keletigui Diabate et Djelimadi Tounkara. C'est alors qu'il s'offre sa toute première guitare. La découverte de John Lee Hooker, cette même année, est un choc. Dans son blues, il entend la tradition tamachek. Les djinn du Niger auraient-ils émigré vers le Mississippi ?

À la conquête du blues
En 1970, la Radio Nationale du Mali offre un poste d'ingénieur du son au guitariste, qui fera partie de l'orchestre maison jusqu'à sa dissolution en 1973. Son style extraordinaire, Ali Farka Touré le forge à Bamako durant les dix ans passés à la radio. Son plus récent album qui réunit des uvres de cette époque le révèle magistralement. Dans les années 70, six albums ètaient déjà parus en France d'enregistrements réalisés pour la radio malienne.

1980 marque le retour sur ses terres d'Ali Farka Touré. Très sollicité au Mali et dans les pays proches, sa carrière internationale prend un nouveau tour en 1987. Il entreprend une tournée solo en Europe et enregistre pour label anglais World Circuit. Sa réputation ne cesse alors de grandir auprès des musiciens du monde entier. Le bluesman Taj Mahal le rejoindra sur son album "The Source" . Le guitariste américain Ry Cooder apportera son nom et son jeu limpide sur "Talking Timbuktu" , qu'ils signent en duo. Aux yeux d'un très vaste public, Ali Farka Touré est aujourd'hui entré dans la légende du blues.

François Bensignor

Discographie
Radio Mali (World Circuit, 1996)
Talking Timbuktu (World Circuit, 1994)
The Source (World Circuit, 1992)
The River (World Circuit, 1990)
Ali Farka Touré (World Circuit, 1988)