LES T TES BR LÉES
Les allumés de Yaoundé
François Bensignor, dec. 95

Gentiment provocateurs, ils ont défrayé la chronique au Cameroun, avant de faire sensation en France et aux États Unis. Les voici de retour avec un message de joie : "Be Happy" !

Leur première apparition télévisée fut un tel choc que, du jour au lendemain, Les Têtes Brûlées devinrent une légende au Cameroun. Portaient-ils des masques ou était-ce leurs vrais visages ? Leurs crânes étaient-ils vraiment rasés par endroits, laissant des touffes de cheveux entourées d'ornements de couleurs peints à même la peau ? Mais qui étaient donc ces jeunes, riant de tout, qui remettaient au goût du jour, sur des guitares électriques, les rythmes ancestraux du bikutsi, que jouaient les femmes de l'ethnie Béti ? Toutes ces questions animaient les conversations en cette année 1987.

Jean-Marie Ahanda, instigateur de toute l'affaire, a de quoi se réjouir. Le groupe est, en effet, la matérialisation d'un de ses rêves d'artiste. Jeune peintre, mais aussi critique musical parmi les plus redoutés du Cameroun, trompettiste à ces heures et producteur de quelques chansons à succès, il est parvenu à réunir autour du fabuleux guitariste-chanteur-compositeur Théodore Épémé, alias Zanzibar, un combo de choc. Tout s'enclenche alors comme par magie. Un banquier met à leur disposition le matériel musical nécessaire. Le Chacal Bar les engage pour animer les soirées de fins de semaines. Jean-Marie, qui a la révélation du nom du groupe, invente aussi son "look", à la manière d'une uvre d'art. La toute jeune télévision camerounaise sert de tremplin à leur succès national. Débarquant en France pour une série de concerts en 1988, la réalisatrice Claire Denis, qui les a remarqué à Yaoundé, décide de partir avec eux en tournée. Elle en tire un film très attachant "Man No Run". Quand le groupe rentre au Cameroun, il a déjà enregistré la matière d'un album.

Retournement de fortune, en 1989, Zanzibar, l'âme musicale du groupe perd brutalement la vie, dans d'obscures circonstances. Le deuil est lourd. Mais pourquoi mettre fin à une aventure musicale si prometteuse ? Jean-Marie veut tenir ses engagements. Le disque de la musique du film sort en France. C'est le son brut du groupe en scène, avec cette énergie heureuse et ce goût de la danse si communicatif. La sortie de l'album studio doit attendre 1990. La formation de concert s'enrichit d'un joueur de claviers. Ahanda lui-même s'investit beaucoup plus dans la musique du groupe qu'à ses débuts, où il se contentait de faire une animation cocasse, jonglant avec son éternel ballon de football.

Au cours des années suivantes, les Têtes Brûlées parcourent le monde étendant leur notoriété en Angleterre et surtout aux États Unis. Après un premier passage de trois concerts à San Francisco, Los Angeles, New York, ils sont programmés pour quarante concerts l'année suivante, soixante l'année d'après, où ils jouent aussi au Canada. "L'année de la coupe du monde de football, nous nous sommes limités à la Côte Ouest, afin de pouvoir assister aux matchs -- surtout de l'équipe du Cameroun", avoue Jean-Marie.

Le succès des Têtes Brûlées a donné des idées aux musiciens camerounais. La production du bikutsi moderne a connu une véritable explosion à Yaoundé. Les chanteurs se sont multiplié. Ce sont eux qui fournissent aujourd'hui l'ambiance dans quatre ou cinq bars où la jeunesse de Yaoundé vient "pédaler", nouveau terme donné à la danse bikutsi, qui décrit bien ses mouvements. "Vendredi et samedi sont les jours de grande affluence," dit Jean-Marie. "Les gens vont danser le bikutsi pour s'offrir un véritable moment de détente. Ils en ont besoin, après ces temps d'insécurité politique et de dévaluation. Le bikutsi est une danse un peu désordonnée, parfois brutale, parce que pleine de mouvements qui demandent de la place. Mais les bars sont tellement bondés certains soirs que les gens se sont mis à danser sur les tables et les chaises. Dès que la danse est finie, on se rassoit et tout redevient calme."

Huit ans après leur entrée fracassante sur la scène camerounaise, les Têtes Brûlées y ont réduit leur activité. Travailler dans les conditions professionnelles qu'ils connaissent dans le Nord est quasiment impossible au pays et c'est leur grand regret. Avec leur nouvel album, "Be Happy", ils souhaitent se concentrer sur leur carrière internationale. Et c'est un groupe rénové, musclé avec deux nouveaux guitaristes et un nouveau batteur, qui défendra le nom des "Rois du bikutsi-rock" au cours de leur prochaine tournée.

François Bensignor

Discographie :
1988 : Les Têtes Brûlées (Bleu Caraïbe)
1991 : Bikutsi Rock (Dona Wana)
1995 : Be Happy (Dona Wana)