ANNE MARIE NZIÉ
La “Maman” de la musique camerounaise

François Bensignor

Anne Marie Nzié porte fièrement ses 67 ans. Lorsqu'elle apparaît sur la scène du cinéma Abbia, en ouverture des premières Rencontres musicales de Yaoundé, le public est au comble de l'émoi. Il est vrai que les concerts de celle que tous les Camerounais appellent “Maman” se font rares. Revêtue du costume traditionnel de sa région du sud Cameroun avec sa coiffe hérissée de plumes, elle offre un spectacle à la mesure de sa renommée. La façon qu'elle a de diriger ses sept musiciens, entre romances et rythmes frénétiques, révèle une parfaite maîtrise artistique acquise en quarante ans de métier. Et lorsque Anne Marie se met à danser, une joie communicative illumine la rondeur de son visage. Au beau milieu du spectacle, elle descend dans la salle et déclenche un impressionnant défilé de spectateurs venu lui rendre hommage en la couvrant de billets de banque. Le geste ne peut pas effacer les dernières années de vaches maigres, mais il montre à quel point ceux qu'elle appelle affectueusement ses “enfants” sont attachés à sa personnalité de doyenne emblématique, qui a su brillamment représenter leur pays sur les scènes du monde entier.

Une vocation née d'une blessure
C'est dans les années 30 et 40, au sein de la chorale de la mission du village de Bibia, où son père était pasteur, que la voix d'Anne Marie Nzié a d'abord été remarquée puis formée. Son père jouait aussi du “mvet”, instrument d'accompagnement et style traditionnel des conteurs d'épopées. Mais la jeune fille doit véritablement sa vocation de chanteuse à un événement fâcheux qui handicape toute sa scolarité. Tombée d'une branche vermoulue en allant cueillir des mangues, elle souffrira longtemps d'une mauvaise blessure au pied gauche. Elle doit ainsi passer le plus clair de son adolescence sur un lit d'hôpital. C'est là que, stimulée par son grand frère, Cromwell Nzié, as de la six cordes qui l'initie à la guitare hawaïenne, la jeune Anne Marie forge sa belle voix, compose ses premières chansons et fait un vœux : « Quand je quitterai ce lit d'hôpital, je chanterai jusqu'à ma mort ». Bientôt son frère l'emmène avec lui pour animer les fêtes où on le réclame, et la sinistre plaie commence à guérir. Ensemble, ils formeront un duo à succès.

La “Voix d'or du Cameroun”
En 1958, elle est parmi les premières femmes camerounaises à se lancer en solo dans la chanson. Les morceaux, qu'elle écrit et compose, s'inspirent autant de la variété internationale que des rythmes ancestraux de son pays ou des negro-spirituals. Très appréciée du public camerounais, elle devient rapidement la “Voix d'or du Cameroun”. Sa carrière internationale commence en 1968 à Paris, où elle enregistre un disque avec Gilbert Bécaud et signe un contrat pour trois albums avec la maison de disques Pathé Marconi. Dès lors, Anne Maris Nzié se produit sur les plus prestigieuses scènes d'Afrique : galas à Libreville, Festival culturel panafricain d'Alger (1969), Semaine culturelle camerounaise de Dakar (1975), Festac de Lagos (1977)… Elle est, avec son compatriote Eboa Lottin, l'artiste préférée du président Ahidjo, dont elle aura plus d'une fois l'occasion d'apprécier les largesses. Pour autant, elle n'a jamais vécu la vie des stars. N'ayant elle-même jamais pu donner la vie, elle entretient une famille élargie à la seconde femme et aux sept enfants de son mari, ainsi qu'aux musiciens de son orchestre. Dans son pays, on la considère comme un modèle d'artiste et elle a inspiré plusieurs générations de musiciens.

Le grand retour
En 1979, on lui confie l'enseignement vocal dans l'Orchestre national du Cameroun. Fini l'époque florissante des galas. Devenue quinquagénaire, la “Maman” pense à se retirer dans son village. Le succès de son album “Liberté”, paru en 1984, relance brièvement sa carrière, qui connaît des éclipses de plus en plus longues. En 1996, la chanteuse est au bord de la misère, lorsque René Ayina, homme de radio, décide de remettre en scène celle dont le public ne s'est jamais lassé. L'année suivante, le public du Centre culturel français de Yaoundé réserve un accueil exceptionnel à la chanteuse. Anne Marie peut en être certaine, il ne l'a pas oubliée. Christian Mousset, directeur du festival Musiques métisses d'Angoulême, est subjugué et décide de programmer la “Maman” pour son édition 1998. Il profite de son voyage en France pour lui faire enregistrer, sur son label Indigo, un premier disque compact dont la sortie est prévue cette automne. Les premiers concerts européens de la vieille dame ont montré qu'elle dispose de sérieuses ressources pour relancer sa carrière internationale.

Discographie
• Anne Marie Nzié (Indigo/Label Bleu, 1998)